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Un rapport gagnant-gagnant est-il possible entre la Tunisie et la Chine ?

Depuis que le président de la République, Kaïs Saïed a qualifié le programme de réformes de diktats du Fonds monétaire international (FMI), on ne cesse d’évoquer la question d’un partenariat avec le Brics et de la possibilité d’approfondir et consolider les relations commerciales tuniso-chinoises. Ceci, est-il possible ?

Les membres du gouvernement de Najla Bouden ont affirmé lors de plusieurs déclarations qu’il n’y avait pas d’autres solutions que l’accord avec le FMI. Certes, il porte sur seulement 1,9 milliard de dollars, mais permettra à la Tunisie d’accéder, par la suite, à d’autres accords, prêts et aides provenant de pays voisins et amis. La Tunisie, selon certains experts, a besoin de mobiliser vingt milliards de dinars pour combler le déficit budgétaire cumulé. Le budget de 2023 comporte, à lui seul, un déficit de plus de huit milliards de dinars. Le gouvernement, nommé en octobre 2021 par Kaïs Saïed, avait démontré son attachement à cet accord.

Néanmoins, la finalisation de l’accord a témoigné d’une lenteur incompréhensible. L’explication la plus probable à cela était un refus de la part du président de la République d’avancer vers cette voie. Une explication qui sera confirmée le 6 avril 2023 dans un discours qu’il prononcera à l’occasion de la commémoration du décès de Habib Bourguiba. Il a qualifié les accords de diktats et d’instructions émanant de l’étranger contrairement à ce qu’avaient affirmé nos ministres de l’Économie, Samir Saïed et des Finances, Sihem Nemsia. Ils ont assuré que les réformes ont été le fruit d’un travail réalisé par des cadres et équipes ministérielles (Un programme dont on n’a toujours pas eu connaissance). Le chef de l’État a estimé que la Tunisie devait compter sur ses propres moyens.

Suite à ces déclarations, les langues se sont déliées pour critiquer les partenariats économiques actuels de la Tunisie et pour appeler à un repositionnement tunisien. Ceux qui critiquaient les tentatives d’impliquer la Tunisie dans le conflit opposant d’un côté le Qatar et de l’autre, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis pousse vers une prise de position en faveur du Brics. Il s’agit d’une coalition politique formée par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. C’est ainsi que le fantasme de s’allier à ce bloc pour contrer la domination du G7 (États-Unis d’Amérique, Canada, Japon, Royaume-Uni, France, Italie et Allemagne) a refait surface en Tunisie. Certains ont fait les louanges d’un tel partenariat même s’il n’était même pas capable de prononcer le terme « Brics » correctement ! D’autres ont essayé de nous affirmer que le Brics pouvait se substituer au FMI et nous accorder un prêt. Un autre groupe a insisté sur l’importance des échanges commerciaux avec la Chine et de l’aubaine que cela  représente pour l’économie tunisienne.

La Chine est un géant de l’économie internationale et personne ne peut remettre cela en considération ou en douter. La Chine fait 9,597 millions km² alors que la superficie de la Tunisie atteint à peine les 163 mille km². La Chine compte plus d’1,4 milliard citoyens et citoyennes, soit plus de 120 fois le peuple tunisien. Ces 1,4 milliards d’êtres humains forment plus de 17% de la population mondiale. On dénombre pas moins de 770 millions salariés en Chine. Selon les chiffres de l’Organisation internationale du Travail, en 2021 seulement 4,1% des Chinois sont au chômage. La Chine est dotée d’une véritable armée d’ouvriers et de travailleurs à sa disposition et lui permettant de dominer le marché du travail et de ne pas faire appel à des compétences étrangères. Il semblerait que le recours à des employés tunisiens soit quasi impossible à imaginer en Chine.

La disponibilité de cette armée de travailleurs a permis à la Chine de dominer l’industrie manufacturière. Ce pays accueille plus de 441 mille entreprises industrielles et plus de 8,5 millions d’entreprises privées. La Tunisie compte seulement 94.018 entreprises industrielles et 828.821 entreprises privées. Des chiffres négligeables par rapport au tissu industriel chinois. La taille démesurée de l’économie chinoise lui a permis d’être baptisé l’usine du monde. Ce pays représente 28% de la production manufacturière mondiale. Il n’a, donc, pas d’autre pays pour produire, mais est à la recherche de marché de consommation. Imaginer un partenariat rentable pour les usines tunisiennes est donc surréaliste.

D’ailleurs, exporter des biens vers la Chine serait insensé en raison du coût faramineux de la chose. La hausse des prix des carburants et l’instabilité du marché international décourageaient tout importateur chinois de recourir à des marchandises produites au niveau du continent africain. Le blocage de six jours du canal de Suez, en 2021, avait handicapé les échanges commerciaux de la Chine reposant sur cette voie. On estime que les coûts logistiques en Chine ont augmenté de 45% lors de cette crise ayant duré seulement six jours. Il n’est pas certain de voir la Chine, pays connu pour sa main-d’œuvre à bas prix, fermer ses usines pour créer des unités de production en Tunisie où la chose lui coûtera plus d’argent. Et même si cela aurait lieu, il s’agirait d’entreprises off-shore avec des gains et des revenus quasi totalement non assujettis à l’impôt. La Tunisie n’aura accès à pratiquement aucun dollar ou euro encaissé par ces entreprises.

La question de la collaboration tuniso-chinoise ne s’arrête pas au niveau des entreprises et de la main-d’œuvre. Le débat s’est même engagé sur les importations et les échanges commerciaux entre les deux pays. Des individus, dits connaisseurs en économie, nous ont assuré que la Tunisie pourrait faire fortune en vendant plusieurs marchandises à la Chine. Mais que diable manque à la Chine ? Le phosphate me diriez-vous ! Grossière erreur puisqu’il s’agit du pays produisant chauqe année entre 30% et 40% du phosphate utilisé dans le monde ! L’huile d’olive alors ? Non, puisque le produit ne fait pas partie de l’héritage culturel et gastronomique du pays. De plus, la Chine s’est dotée, depuis les années 80 d’un programme lui permettant de répondre à ses besoins en huile d’olive. Le marché chinois compte plus de 250 marques dont la quasi-majorité provient de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de la Grèce et de l’Argentine. Afin de fournir une part du gâteau à la Tunisie, la Chine doit, donc, écarter l’un de ses partenaires économiques répondant déjà à ses besoins.

Pour continuer à dominer l’économie mondiale, L’empire du milieu a besoin de vendre et non d’acheter. D’ailleurs, nos échanges commerciaux témoignent de la chose. Durant les mois de janvier et février 2023, les échanges commerciaux avec ce pays ont témoigné d’un déficit de 1.971,3 millions de dinars. La Chine ne peut pas se présenter comme étant une aubaine pour l’économie tunisienne. Nous ne pouvons pas concurrencer le marché national ou introduire de nouvelles marchandises. De plus, le retard technologique, la mauvaise gouvernance des installations et de l’infrastructure et la complexité des procédures administratives bloqueraient d’avance toute possibilité de collaboration économique. Afin de parvenir à cela, nous allons donc encore une fois nous retrouver à parler de réformes telles que la révision du système des compensations et la restructuration des entreprises publiques. Penser à la Chine signifie donc penser aux programmes de réformes soumis à l’aval du FMI.

Or, le chef de l’État était assez clair à ce sujet. Non au FMI et non à l’ingérence étrangère. Le président a sa propre vision de la chose. Il a entamé la mise en place des entreprises citoyennes. Un projet économiquement fortement critiqué et qui coûtera plus d’argent qu’il n’en rapportera. D’ailleurs, afin de financer ce projet, Kaïs Saïed a opté pour les fonds collectés à travers la conciliation pénale. Celle-ci devrait théoriquement et conformément au décret promulgué par Kaïs Saïed achever bientôt ses travaux. Bien évidemment, rien de cela n’a eu lieu. La case réforme semble inévitable. La Tunisie sera dans l’obligation d’essayer de sauver ce qu’il reste à sauver au lieu de rêver de Brics ou de Chine.

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