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Sur quel pied doit-on danser monsieur le président ?

 moment, il y a une incohérence totale entre l’exécutif et la tête de l’exécutif. Le gouvernement se presse pour obtenir ce crédit de 1,9 milliard de dollars, alors que le président de la République multiplie les signes de refus. 

Limogée avec l’humiliation en prime. Par un communiqué sec publié jeudi 4 mai 2023 vers 20h30, la présidence de la République annonce le limogeage de Neila Gongi, ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, Neila Nouira Gonji. Sans explication comme d’habitude, bien entendu. 

Quelques heures plus tôt, la dame était toute contente de participer à la pose de la première pierre d’une deuxième usine de la société allemande Marquardt à El Fejja. Plus tard, dans une déclaration aux médias, elle évoque la question de la compensation pour dire que Le gouvernement s’est penché sur l’étude des hypothèses concernant le système de compensations et le moyen de l’orienter efficacement. « Nous sommes dans les dernières étapes, et au cours des prochains jours, nous terminerons notre travail. Ainsi, les dates des augmentations du prix du carburant, qui pourraient être décidées, seront claires », a indiqué Mme Gongi.

Il s’agit là d’un des engagements du programme de réformes du gouvernement soumis au Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention d’un prêt de 1,9 milliard de dollars. 

Il se trouve cependant que Kaïs Saïed n’est pas d’accord avec ces réformes et ce n’est pas la première fois qu’il le dit. 

Un peu après 22 heures, la présidence de la République publie un second communiqué réitérant des positions anciennes du chef de l’Etat. « La Tunisie n’acceptera aucune ingérence de quelque partie que ce soit. Les solutions doivent provenir de la volonté populaire tunisienne et doivent être totalement tunisiennes et au service de la majorité démunie qui a souffert et continue de souffrir de la misère et de la pauvreté. Les déclarations venant de l’extérieur n’engagent que leurs auteurs et personne n’a le droit d’imposer à l’État quelque chose qui ne convient pas à son peuple, de même qu’aucune partie en Tunisie n’a le droit d’agir contrairement à la politique définie par le président de la République. »

Il semble tacler la ministre limogée en soulignant « la nécessité d’une coordination plus étroite entre les ministères car chaque secteur est lié à aux autres et parce que l’État tunisien est indivisible. »

Mais Neila Gongi n’est pas la seule à être taclée, Kaïs Saïed épingle également Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, qui a déclaré que le dossier tunisien a bien progressé et touche à sa fin. Dans une interview publiée mardi 2 mai par Bloomberg, M. Azour affirme que le FMI a travaillé de concert avec les autorités tunisiennes et ses partenaires afin de mobiliser des garanties de financement supplémentaires. 

Une nouvelle fois, l’exécutif tunisien montre son inconstance. D’un côté, on a un gouvernement qui parle de réformes et de crédits multipartites, le FMI en tête, et de l’autre on a un président qui multiplie les déclarations refusant les ingérences étrangères et les réformes imposées par l’extérieur. 

Il y a moins d’un mois, le 6 avril à Monastir, Kaïs Saïed a clairement annoncé ne pas vouloir de ce prêt. Il a affirmé la Tunisie était « capable de sortir de la crise par ses propres moyens (…) Le monde et les entités financières, telles que le Fonds monétaire international (FMI), doivent comprendre que l’être humain n’est pas un simple chiffre… »

Le souci est que concomitamment, on avait à Washington deux représentants de l’État tunisien qui participaient aux rencontres du printemps du FMI, Samir Saïed, ministre de l’Économie et Marouane Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. 

Aussi, le gouvernement n’a rien fait pour concrétiser les propos du président de la République qui sont restés comme des propos en l’air. C’est Jihad Azour qui l’affirme le 13 avril en annonçant que la Tunisie n’a présenté aucune demande pour annuler la procédure en cours. 

Plus clairement, le gouvernement a présenté un dossier au FMI, il a besoin de financement extérieur et l’a mentionné dans la Loi de finances 2023 avec tout un plan de réformes et n’a rien fait pour retirer ce dossier. Le gouvernement était sur la voie d’entamer (enfin !) les réformes douloureuses et ceci a été confirmé jeudi 4 mai par Mme Gongi. 

Le président de la République n’est pas d’accord, il l’a dit le 6 avril et l’a répété le 4 mai. 

Il n’est pas le seul à ne pas être d’accord, l’UGTT aussi ne veut pas du prêt du FMI et des réformes du gouvernement et c’est son secrétaire général, Noureddine Taboubi, qui l’a dit haut et fort le 1er mai dans son discours lors de la Fête des travailleurs. Or, le FMI a clairement conditionné son accord par celui des partenaires sociaux à la tête desquels on trouve l’UGTT. 

Tout est clair, rien n’est clair ! Comme le disait jadis Ibn Khaldoun, « les Arabes sont d’accord pour ne pas être d’accord ». Là, on est dans un problème tuniso-tunisien. Pire, on a une incohérence entre l’exécutif et la tête de l’exécutif. 

Ce qui est ahurissant, c’est que les deux parties font le travail à moitié. Si le président n’est pas d’accord avec la démarche de son gouvernement, pourquoi a-t-il ratifié la Loi de finances et pourquoi a-t-il limogé Neila Gongi seulement et non Samir Saïed, Sihem Nemsia, ministre des Finances, voire leur cheffe Najla Bouden ?

Par ailleurs, si la cheffe du gouvernement n’était pas d’accord avec son président, pourquoi n’a-t-elle démissionné et continue-t-elle à agir comme si le chef de l’État n’avait rien dit ? 

En revanche, si Mme Bouden était d’accord avec son président, pourquoi alors n’a-t-elle pas retiré son dossier du FMI et pourquoi autorise-t-elle ses ministres à aller à Washington et à continuer à parler des réformes ? 

Dans cette bataille non dite entre l’exécutif et la tête de l’exécutif, le gagnant est connu d’avance, ce sera Kaïs Saïed. Le gouvernement n’a aucune légitimité, il n’a pas été élu et n’a pas été adoubé par un parlement. Il ne doit son existence qu’à Kaïs Saïed, c’est lui qui l’a nommé et il peut donc le gommer à tout instant. Le président ne se gêne pas d’ailleurs, puisqu’il limoge régulièrement des ministres et en fait l’annonce directement sur la page de la présidence. Et quand il nomme de nouveaux ministres, il ne se donne même pas la peine de faire assister la cheffe du gouvernement à la cérémonie de prestation de serment. 

Sachant que le pouvoir absolu revient à Kaïs Saïed, c’est même la constitution qui le dit, le gouvernement doit jeter à la poubelle tout le programme de réformes sur lequel il est penché depuis octobre 2021. 

Najla Bouden n’a pas encore compris cela, elle continue à agir comme si le président n’existait pas. En limogeant Neila Gongi et en rappelant qu’aucune « partie n’a le droit d’agir contrairement à la politique définie par le président de la République », Kaïs Saïed ne fait pas qu’un rappel à l’ordre, il donne carrément une claque à Najla Bouden. 

Si elle veut sauver sa peau, elle doit illico presto présenter un plan B (qu’elle n’a pas) et envoyer une demande de retrait de dossier à Washington. 

Si elle veut sauver sa dignité, elle doit tout juste envoyer sa démission et celle de son gouvernement. 

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