KHARTOUM: La capitale soudanaise a été secouée par des tirs et explosions samedi soir après une journée de combats de rue meurtriers, de raids aériens et de menaces par médias et réseaux sociaux interposés des deux généraux aux commandes du Soudan depuis le putsch de 2021.
A Khartoum, où les rares civils qui s’étaient aventurés dehors le matin sont rentrés en courant chez eux, des colonnes de fumée se sont élevées au-dessus des sièges des paramilitaires comme de l’aéroport international.
Un premier bilan annoncé par le Syndicat des médecins fait état de trois civils tués.
Toute la journée, les appels au cessez-le-feu se sont multipliés: de l’ONU, Washington, Moscou, Paris, Rome, Ryad, l’Union africaine, la Ligue arabe, l’Union européenne et même l’ancien Premier ministre civil Abdallah Hamdok. Mais rien n’y a fait.
Dimanche, la Ligue arabe annonce une réunion d’urgence sur le Soudan, à la demande du Caire –où elle siège– et de Ryad, deux grands alliés de l’armée soudanaise, aux prises avec les paramilitaires qui veulent désormais la déloger du pouvoir.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a appelé les deux belligérants: le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhane, et le patron des paramilitaires, Mohamed Hamdane Daglo, dit “Hemedti”, mais aussi le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi pour réclamer “un arrêt immédiat de la violence”.
Les paramilitaires, eux, se disent inflexibles. Ils “ne s’arrêteront pas avant d’avoir pris le contrôle de l’ensemble des bases militaires”, a menacé sur la chaîne al-Jazeera leur commandant Hemedti.
En soirée, sur la chaîne émiratie Sky News Arabia, il a redit avoir été “forcé” de réagir. “Ce n’est pas nous qui avons commencé”, a-t-il martelé. “Il faut que Burhane le criminel se rende”, a-t-il dit alors que des tirs résonnaient autour de lui.
Ses Forces de soutien rapide (FSR) –des milliers d’ex-miliciens de la guerre du Darfour devenus supplétifs de l’armée– ont dit avoir pris l’aéroport international et le palais présidentiel.
Le général Burhane, lui, n’est pas apparu depuis le matin, mais assure par communiqué avoir été “surpris à neuf heures du matin” par une attaque de son QG par les FSR, son ancien meilleur allié que l’armée qualifie désormais de “milice soutenue par l’étranger” pour mener sa “trahison”.
L’armée, elle, a publié sur sa page Facebook un “avis de recherche” contre Hemedti. “Ce criminel en fuite est recherché par la justice”, lit-on sur le montage photo, alors qu’un autre communiqué annonce la dissolution des FSR, appelant tous ces hommes à se rendre.
Des deux côtés, finies les négociations feutrées sous l’égide de diplomates et autres discussions policées, l’armée a mobilisé ses avions pour frapper –et “détruire”, dit-elle– des bases des FSR à Khartoum. Quant aux appels à revenir à la table des négociations, l’armée a répondu que c’était “impossible avant la dissolution des FSR”.
Ces dernières appellent les 45 millions de Soudanais et même les militaires à “se rallier à elles” et à se retourner contre l’armée.
Les habitants, eux, restent toujours cloîtrés chez eux. “J’allais au travail ce matin mais dès que j’ai entendu les coups de feu, je suis rentré chez moi”, raconte à l’AFP Bakry, 24 ans.
Les deux camps s’affrontent toujours pour le contrôle du siège des médias d’Etat, selon des témoins.
Les développements, dimanche
Les membres du Conseil de sécurité ont affirmé dimanche leur engagement à l’unité, la souveraineté et l’indépendance du Soudan, selon l’ambassadeur des États-Unis à Khartoum.
Les Forces de soutien rapide du Soudan ont annoncé avoir abattu un avion Sukhoi.
Le ministre italien des Affaires étrangères a appelé à mettre fin aux hostilités et à recourir au dialogue.
Le bilan des victimes au lendemain du début des combats était confirmé à 56 morts, avec au moins 595 blessés.
L’Ordre des médecins du Soudan appelle les organisations humanitaires régionales et internationales à fournir de l’aide et des fournitures médicales.
En fin de matinée les affrontements se poursuivaient près du quartier général de l’armée soudanaise.
Toujours en fin de matinée, des responsables de l’opérateur de télécommunications MTN annonçaient le blocage de ses services Internet. Plus tard, un responsable de l’opérateur a déclaré que les autorités lui ont demandé de rétablir le service Internet.
L’armée soudanaise ne veut pas négocier avec les RSF, affirme l’ambassadeur de Russie à Khartoum.
Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine tient une réunion d’urgence pour discuter de la sécurité au Soudan.
Trois humanitaires de l’ONU ont été tués au Darfour où armée et paramilitaires se battent, selon un communiqué de l’ONU.
LE SOUDAN DEPUIS LE COUP D’ETAT D’OCTOBRE 2021
Voici les temps forts de la crise au Soudan depuis le putsch du général Abdel Fattah al-Burhane en octobre 2021, alors que les paramilitaires dirigés par son rival, Mohamed Hamdane Daglo, disent avoir pris le contrôle samedi du palais présidentiel de Khartoum.
Nouveau coup d’Etat
Le pays traverse une délicate transition depuis la chute en 2019 sous la pression de la rue et de l’armée d’Omar el-Béchir, arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en 1989, censée aboutir à des élections libres.
Le 25 octobre 2021, le général Burhane ordonne l’arrestation de nombreux membres civils des autorités de transition, notamment le Premier ministre, Abdallah Hamdok, et décrète l’état d’urgence.
Au moins sept personnes sont tuées par des tirs de l’armée à Khartoum, selon des médecins prodémocratie, lors de manifestations massives contre le putsch. Le coup d’Etat est condamné par la communauté internationale. Washington suspend une aide de 700 millions de dollars.
Pression internationale
Dans les jours suivants, Abdallah Hamdok est assigné à résidence. Les heurts se poursuivent, les arrestations de militants et manifestants se multiplient.
L’Union africaine suspend le Soudan, la Banque mondiale cesse son aide, tandis que l’ONU et les Etats-Unis réclament le retour d’un “gouvernement de transition dirigé par des civils”.
Le 4 novembre, quatre ministres sont libérés.
Le 11, le général Burhane nomme un nouveau Conseil de souveraineté, sans les représentants du bloc réclamant un transfert du pouvoir aux civils.
Bref retour du Premier ministre
Le 21 novembre, Abdallah Hamdok est rétabli dans ses fonctions, mais les manifestations se poursuivent malgré la répression.
Le lendemain, plusieurs hommes politiques détenus depuis le coup d’Etat sont libérés.
Le 2 janvier 2022, M. Hamdok démissionne.
Tentative de dialogue
De nouveaux décès surviennent lors de manifestations les mois suivants.
Le 8 juin, lancement sous l’égide de l’ONU de pourparlers intersoudanais boycottés par les principaux blocs civils. Les Forces de la liberté et du changement (FLC), colonne vertébrale du gouvernement civil limogé lors du putsch, réclament comme préalable la fin de la répression et la libération de prisonniers.
Le 11, report sine die de la deuxième série de pourparlers.
Grave crise humanitaire
Le 21 juillet, face à la crise alimentaire qui s’aggrave au Soudan, la Banque mondiale annonce débloquer 100 millions de dollars pour “des transferts d’argent et de nourriture”.
L’inflation avoisine chaque mois les 200%, la monnaie est en chute libre et le prix du pain a été multiplié par dix depuis le putsch.
Pourparlers et violences tribales
Le 18 octobre, le chef des FLC, Khaled Omar Youssef, déclare que des pourparlers indirects sont en cours avec l’armée.
Les 19 et 20 octobre, des affrontements tribaux dans le Sud font environ 250 morts, selon des témoins. Le vide sécuritaire créé par le putsch a favorisé une résurgence des violences tribales, selon des experts.
Accord-cadre et rivalité
Le 5 décembre, un premier accord de sortie de crise est signé par le général Burhane, son second, le général paramilitaire Mohamed Hamdane Daglo, dit “Hemedti”, ainsi que plusieurs groupes civils, notamment les FLC.
Mais les discussions achoppent, notamment sur les modalités d’intégration au sein des troupes régulières des très redoutées Forces de soutien rapide (FSR), composées en bonne partie d’ex-miliciens, sur fond de lutte de pouvoir entre Burhane et Hemedti.
Faute de compromis entre les deux généraux, la signature de l’accord de sortie de crise, prévue le 1er avril 2023, est repoussée à deux reprises, l’opposition civile appelant à manifester.
Combats à Khartoum
Le 13 avril, l’armée dénonce le déploiement dans les villes des paramilitaires du général Daglo.
Samedi 15, les paramilitaires assurent avoir pris le contrôle de l’aéroport international et du palais présidentiel à Khartoum, secouée par des tirs et explosions. Ils appellent l’ensemble de la population, comme les soldats eux-mêmes, à la sédition contre l’armée.
Avion saoudien attaqué
Lors du putsch en octobre 2021, Hemedti et Burhane avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir. Mais au fil du temps, Hemedti n’a cessé de dénoncer le coup d’Etat.
Récemment même, il s’est rangé du côté des civils –donc contre l’armée dans les négociations politiques– bloquant les discussions et donc toute solution de sortie de crise au Soudan.
Depuis des jours, la rue bruissait de rumeurs sur une guérilla imminente entre les deux camps, alors que des convois de blindés des FSR convergeaient vers Khartoum.
L’armée dément la prise de l’aéroport mais assure que les FSR y ont “incendié des avions civils, dont un de la Saudi Airlines”. La compagnie a confirmé.
Une vidéo publiée samedi par les FSR sur Twitter montre des hommes en uniformes présentés comme “des soldats égyptiens qui se sont rendus avec des militaires soudanais” aux FSR dans la base militaire de Méroé (nord).
Le porte-parole de l’armée égyptienne a dit “suivre la situation” confirmant “la présence de forces égyptiennes” au Soudan.
“Ils sont en sécurité et seront remis à l’Egypte”, a assuré Hemedti à Sky News Arabia.
Pour les experts, les deux commandants n’ont cessé ces derniers jours de faire monter les enchères alors que les civils et la communauté internationale tentent de leur faire signer un accord politique censé relancer la transition démocratique.